Trois pasteurs anglicans en verve et contre tout
Jonathan Swift – Laurence Sterne –Thomas Malthus (Library)
Jonathan Swift (1667-1645); Laurence Sterne (1713-1768); Thomas Malthus (1766-1834)1… Ou comment trois pasteurs anglicans prennent part au débat politique de leur temps, dans la lignée d’une tradition moraliste qui se prolonge jusqu’au XXe siècle. Ils illustrent aussi les influences culturelles croisées, quoiqu’ambigües, entre la Grande Ile et du Continent.
Jonathan Swift , Laurence Sterne, Thomas Malthus, trois pasteurs anglicans engagés dans la vie publique de leur temps, dont les œuvres ont été très lues en France. © Charles Jervas, © Joshua Reynolds-Art Museum of London); © John Linnell) ; © Bottom of the Hill Publishing); © Penguin Books); ©CreateSpace Independent Publishing Platform
À vrai dire, cette chronique tient beaucoup au hasard d’une pièce de théâtre, vue récemment à Paris, titrée Le Voyage de Gulliver2. Je savais déjà ce que le mot «Lilliputien» signifie en langage courant, d’où il tire son origine, mais je m’aperçois que c’était sans avoir perçu la portée réelle du propos qui le sous-tend. Il semble que la nature originelle de l’ouvrage, et particulièrement le chapitre consacré à Lilliput, aient été quelque peu trahies par une logique d’édition privilégiant le conte pour enfants3. De plus, Jonathan Swift ne fait pas partie des classiques scolaires dans notre pays. Ce qui est logique, mais ne doit pas faire oublier les interférences qui se tissent, ici, avec la littérature française. Cette interférence est plus lisible, sans doute, avec Laurence Sterne, auquel je me proposais de consacrer un article. Si Thomas Malthus figure ici, en revanche, c’est par un peu par «oxymore», par un dialogue impossible avec, notamment, Jonathan Swift.
Rabelais-Swift-Voltaire: une tradition de la satire politique, sociale, religieuse
Le Voyage de Gulliver inspire la compagnie Point Fixe, pour un spectacle de très haute qualité visuelle et remarquable pour la mise en scène de marionnettes; théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 2022. © Fabrice Robin.
Gulliver tirant la flotte de Blefuscu à Lilliput, dessin d’illustration d’André Devambez, 1909 France. © Collection particulière.
Par l’auteur de Gulliver, on revient notamment à François Rabelais (1483 ou 1494-1553) et ponctuellement à Savinien Cyrano de Bergerac (1619-155)4, et on se dirige vers Voltaire (1694-1778). Ce dernier, exilé en Angleterre sous le règne de Louis XV, fera non seulement l’éloge de son aîné, mais lui empruntera sa pétition de principe: utiliser le conte et la satire pour voiler l’expression d’idées politiques (crainte bien légitime de la censure); masquer l’attaque contre les autorités du pays en feignant d’exposer les défauts de celles d’autres pays – avec, en arrière-plan, la rivalité franco-anglaise5; prendre un parti de mesure (Swift) ou de raison (Voltaire) pour fonder la morale politique et sociale.
Parlons plutôt de cousinage. Le propos voltairien est plus direct, plus enlevé, plus empreint de la geste et du style aristocratiques, moins sermonneur, plus ouvert sur l’avenir6. Autre nuance: le philosophe critique de Fernay se dit volontiers «déiste» quand le pasteur pamphlétaire de Dublin est de confession, au point même qu’il eut aimé obtenir un archevêché (anglican). La reine Anne le lui refusa en raison, précisément, de ses écrits.
Quoiqu’il en soit, imaginons l’esprit swiftien parcouru de titillements rabelaisiens lorsqu’il écrit, par exemple:
«Les différences d’opinion ont coûté des millions de vie; par exemple: est-ce que la chair est du pain, ou le pain de la chair? Est-ce que le jus de certaines baies est du sang ou du vin? Est-ce un vice ou une vertu que de siffler? Doit-on baiser tel morceau de bois ou le jeter au feu? Quelle couleur convient le mieux à un tel vêtement, le noir, le blanc, le rouge ou le gris. Doit-il être large ou étroit, long ou court, sale ou propre»?
Oui, nous avons bien lu. Et ce n’est pas la prose d’un émule du matérialisme dialectique ou du philosophe du Dieu qui est mort, mais d’un homme d’église, tout comme d’ailleurs l’était l’écrivain et humaniste tourangeau du XVIe siècle. Toujours dans la même veine satirique inspirée du père des aventures de Gargantua et Pantagruel, cet échange, à Lilliput, entre Gulliver (lequel est, au demeurant, médecin comme l’était Rabelais) et un secrétaire du Royaume, dont l’absurdité facétieuse «dévoile» le long conflit entre Angleterre et France, recoupé à l’époque par celui entre papistes, protestants et anglicans:
« (…) ces deux formidables puissances se trouvent engagées depuis trente-six lunes dans une guerre à mort, et voici qu’elle en fut l’occasion. Chacun sait qu’à l’origine, pour manger un œuf à la coque, on le cassait par le gros bout. Or, il advint que l’aïeul de notre Empereur actuel, étant enfant, voulut manger en œuf en le cassant de la façon traditionnelle et se fit une entaille au doigt. Sur quoi, l’Empereur son père, publia un édit ordonnant à tous ses sujets, sous peine des sanctions les plus graves de casser leurs œufs par le petit bout. Cette loi fut si impopulaire, disent nos historiens, qu’elle provoqua sis révoltes durant lesquelles un Empereur perdit la vie, un autre sa couronne. Ces soulèvements avaient chaque fois l’appui des souverains de Blefuscu et, lorsqu’ils étaient écrasés, les exilés trouvaient toujours refuge dans ce Royaume».
Encore et surtout, il y a cet épisode, toujours à Lilliput, où, pour éteindre les flammes qui ravagent le château royal, Gulliver n’a d’autre procédé que d’uriner sur l’édifice… Une initiative qui, doit dit en passant, lui vaudra la haine des autorités de la contrée.
Humour et bonhomie (Rabelais) vs Humour noir et pessimisme (Swift)
L’intention générale de Swift et surtout, ses procédés d’écriture, sa langue inventée ont fait l’objet d’une recherche aussi savante que contradictoire par laquelle on peut «doser» l’influence de Rabelais7. Elle est incontestable, même si l’on peut rappeler que la mise en scène du voyageur (Defoe pris à l’envers; multiplication des récits de voyage), la réflexion sur le langage et ses effets sont plutôt d’époque swiftienne. Le fait se se déguiser en tant qu’auteur (Alcofrybas Nasier/Rabelais; la lettre de Swift à son éditeur évoquant les malfaçons de la copie pour se dédouaner) pour contourner la censure ne sont pas de leur seul apanage.
En revanche, le père de Gulliver aurait largement exploité la méthode rabelaisienne et, en particulier, ses jeux de langage ? Ainsi, l’appellation «Blefuscu» (Lilliput), pourrait être lue comme un jeu sur «Blef-aux-culs» «paille au cul», ou «cul terreux», expressions communément utilisées au Royaume-Uni pour désigner les Français. Ainsi encore de la forme répétitive doublée d’une requalification bouffonne des mots adoptée pour le moment où notre voyageur explique à un académicien de Balinarbi (Laputa) comment le pouvoir britannique est habile à découvrir les complots. Et de lister un ensemble de mots soit-disant codés: «Troupeau d’oies/Sénat»; «Gibet/ministre»; «Goutte/membre du haut clergé»; «Panier percé/dame de la Cour»; «Plaie purulente/l’administration»…
On ne saurait négliger le côté acerbe du projet critique/satirique de Rabelais8. Ici et là, il s’agit de dénoncer les extrémistes religieux/politiques, de coller aussi à la réalité de son temps (politique, religieuse, sociale)9. On perçoit néanmoins comme un basculement, chez Swift, vers un humour noir associé au pessimisme (typiquement britannique), une tendance réthorique au sermon prononcée et parfois pesante, un cadrage du récit (continuité de l’histoire, épisodes balisés) plus net mais aussi plus monotone. On ne s’étonne pas d’apprendre que Swift (selon Fielding) n’aurait jamais ri plus de deux fois dans sa vie, tant s’exprime une différence de tempérament entre bonhomie (Rabelais)/misanthropie (Swift). Le dernier des voyages de Gulliver (Hoyhnhnms) me semble le plus révélateur d’un décrochage avec un projet rabelaisien plus gai et plus littéraire.
Si les deux auteurs eurent maille à partir avec les autorités politiques et religieuses, la portée critique de l’œuvre du père de Gargantua a été moins efficiente que celle de son benjamin, puisque celui-ci obligea notamment le gouvernement du Royaume-Uni à revoir sa législation.
Laurence Sterne et son voyage «culturel» et «sentimental» en France
Laurence Sterne et son double Tristram Shandy., dessin d’illustration humoristique. © D.R
Tout comme Swift, Laurence Sterne est né en Irlande – ce pourquoi il s’en prend aussi au Royaume ? Tout comme lui, il est pasteur anglican et il échouera à se faire attribuer un évêché. Et tout comme lui il est satiriste. Cependant, le second apprécie les mondanités par contraste avec la misanthropie que l’on prête à son aîné. Ici, l’obédience rabelaisienne est clairement proclamée (à côté de celle du Don Quichotte de Cervantès, 1547-1616). On y revient pour aller à un autre des grands encyclopédistes français du XVIIIe siècle, contemporain de Voltaire, Denis Diderot (1713-1784). Le Diderot «fantasque» dont l’ouvrage Jacques et son Maître se place clairement sous l’autorité du pasteur anglican10.
Une nouvelle étape de la chronique contre les «agélastes»
Sterne hérite de la bonhomie d’Alcofrybas Nasier tout en masquant plus subtilement son attaque contre l’extrémisme religieux. Écoutons, par exemple, ce propos de son héros le pasteur iconoclaste Yorick (probable double de l’auteur), en nous demandant s’il ne rappelle pas le Tartuffe de Molière (1622-1673), quoiqu’il paraisse emprunter au moraliste La Rochefoucauld (1613-1680):
«La gravité, répétait-il sans fard, n’était qu’une friponnerie achevée, et de la plus dangereuse espèce, dangereuse parce que rusée.»
La bande à Tristram Shandy revendique au contraire son rejet de «l’agélaste», selon le néologisme que le docte mais rieur tourangeau créa pour qualifier toute «personne qui ne sait pas rire». La visée est d’abord de dévoiler, sous la vêture d’humour, les errements de l’époque (politiques et d’église) et de plaider pour l’Humanisme et la Raison. Mais La Vie et les Opinions de Tristram Shandy11 et Le voyage sentimental (qui en constitue probablement la suite), sont aussi l’éloge d’une sensibilité qui se déploiera avec le romantisme, notamment en Grande-Bretagne. Le panorama des idées et des connaissances du temps, la critique de moeurs, s’expriment ici avec désinvolture et finesse, sur le versant extravagant, gai et compatissant de l’humour britannique.
Évoquons, par exemple, ce passage à Paris, en n’oubliant pas qu’il fit de la France une destination privilégiée pour remédier à la maladie (tuberculose) qui devait, finalement, l’emporter, et qu’il y fut fêté. C’est là que Yorick12, nous explique-t-il avec une belle fantaisie, s’efforce d’échapper à la mort, sans pour autant se départir de sa malice. Mais, lisons:
«Le grand, le beau, le brillant. Les rues n’en sont pas moins puantes; espérons que l’apparence sera meilleure que l’odeur». Constatée la carence de lumière dans ces mêmes rues, plus loin: «les Français sont, à coup sûr, mal compris. La faute est elle toute leur ou pas tout à fait notre? Mais quand ils affirment que qui a vu Paris a tout vu, ils doivent certainement parler de ceux qui ont vu Paris en plein jour. »
Et est-ce moquerie ou hommage (à Rabelais, à la France) lorsqu’encore Yorick déclare: «Les Français ont une façon joyeuse d’entendre la grandeur; voilà ce qu’on peut en dire.» ?
Éloge de l’étrange planète de la littérature
Le lecteur français connaît sans doute encore moins son Sterne que son Swift. À charge du second, une chronique sans doute plus locale, alors que le premier fit au moins émerger une sorte de mythe (Lilliput). Lorsqu’il est dit que tous deux connurent à la parution de leur œuvre un succès en Angleterre et sur le Continent, il faut évidemment se figurer un public restreint de littérateurs, de lettrés et, bien sûr, d’autorités de censure. D’ici à aujourd’hui, le pasteur de Coxwold a, plus que son aîné, acquis une postérité auprès du cénacle littéraire international et français plus durable que celle de son aîné, en même temps que d’une autre nature.
Évoquée la filiation avec Diderot, qui se prolonge, bien plus tard, par Milan Kundera, notons aussi l’influence sur son presque contemporain Honoré de Balzac (1746-1829), sur Charles Nodier (1780-1844), sans oublier son compatriote plus tardif James Joyce 13(1882-1941). Cette renommée tient aussi bien au contenu de son récit, apparemment anecdotique – puisqu’il ne s’agit que d’une chronique familiale de personnes de condition assez modeste14, d’autant plus crédible qu’elle ne se sert pas d’objets hors de proportion à la Rabelais – que de son ton (moqueur, inclus vis-à-vis de lui-même).
Laurence Sterne a l’art de faire exploser les codes connus du récit en prose: refus de la linéarité, exposition d’un thème sous plusieurs angles, adresses directes au lecteur, usage d’un incroyable (pour l’époque) registre typographique15.
L’émerveillement, y compris pour les spécialistes de la linguistique, s’explique surtout par l’ingéniosité mise à faire exploser les codes connus du récit en prose: refus de la linéarité, exposition d’un thème sous plusieurs angles, adresses directes au lecteur, usage d’un incroyable (pour l’époque) registre typographique. Ici, c’est une page toute noire qui marque le décès d’un personnage. Là, c’est une page blanche où le lecteur est invité à dessiner le portrait d’un personnage du roman. Voilà que l’auteur signe son livre par une page marbrée (page blason). Et, pour n’être pas en reste, il faut évidemment mentionner l’usage très créatif des signes de ponctuation: type (tirets, parenthèses, crochets…) et positionnement dans l’espace de la page16.
Thomas Malthus, «agélaste» de malheur ?
Thomas Malthus17 est plus connu du grand public français, parce que passé dans notre langage courant, on doit à cet autre pasteur anglican l’origine du mot «malthusianisme». Et il faut peut-être s’avouer que le mot a quelque consonance avec celui de «malheur». C’est probablement ce qu’auraient pensé ses deux illustres prédécesseurs en chaire & polémique, puisque Thomas-Robert Malthus, en 1796, entre dans l'Église anglicane, au titre de vicaire d’Albury, et s’empresse de prendre part au débat public. Si l’on pouvait imaginer une conversation plutôt cordiale entre les deux satiristes irlando-britanniques, on ne peut en revanche qu’extrapoler une «disputatio» raide entre le chanoine de la cathédrale Saint-Patrick et son benjamin vicaire d’une modeste paroisse anglaise, tandis que, en second plan, le pasteur de Coxwold n’aurait pas d’autre expression pour moquer l’agélastie doublée de méchanceté de ce dernier.
Ce n’est sans doute pas un hasard (peut-être même est-ce un trait culturel ?) si Malthus n’œuvre pas dans le champ de la littérature mais dans celui de l’économie politique. Pour autant, c’est bien la question morale qui l’incite à prendre position, d’abord sous forme de pamphlet (1798) puis sous forme d’ouvrage solidement argumenté son Essai sur le Principe de Population. L’ouvrage va créer la controverse en même temps que nourrir la réflexion en plein développement depuis Adam Smith sur le gouvernement économique d’un pays.
Deux thèses d’humour noir sur les causes de la pauvreté
Il peut-être, en tout cas, lu en miroir de plusieurs publications swiftiennes sous le prisme d’une réflexion sur les «pauvres». Revenons d’abord sur les traces de Lemuel Gulliver. Le voici (3e épisode) à Laputa/Balinarbi – appellations que l’on peut lire comme des transpositions d’Angleterre (dominant) et Irlande (dominé). Il témoigne:
«Le lendemain de mon arrivée (à Balinarbi—NDLR), Munodi me fit faire le tour de la ville. Celle-ci est grande à peut près comme la moitié de Londres, mais les maisons y sont bizarrement bâties et, pour la plupart, presqu’en ruine. Les gens dans la rue marchent vite, l’air farouche, le regard fixe et sont généralement en haillons (…) Je voyais de nombreux paysans travailler avec des outils d’aspect divers, mais je ne pouvais deviner ce qu’ils faisaient là; je ne voyais nulle part lever ni blé, ni herbe, bien que le sol me parût des plus riches.»
Quoiqu’il ait dit ne pas aimer les Irlandais, le chanoine de Saint-Patrick n’aura eu de cesse de dénoncer la situation dramatique et injuste imposée à l’Ile verte, devenue vassale de la couronne britannique, qui s’était déjà exprimé dans ses «Lettres du drapier» (1724-1725)18. Ces positions vont trouver leur acmé dans un pamphlet daté de 1729 intitulé «Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public». La modeste proposition consiste à réduire la misère et la surpopulation par un moyen original: que les parents des familles pauvres vendent leurs enfants de un an à ceux (les riches, les politiques, le gouvernement) qui pourraient se délecter de leur chair. Et elle se décline selon le format et le style d’un véritable traité d’économie19.
Pour Thomas Malthus, la réduction de la population est également un moyen de prévenir la montée de l’appauvrissement dans la population britannique, résultant d’un décalage croissant entre disponibilité des ressources vivrières (en progression arithmétique) et mouvement démographique (en progression géométrique). L’exposé, sur un mode plus rationnel, aboutit à une préconisation apparemment moins cruelle, à savoir qu’il suffirait que les couples décident de réduire volontairement l’acte de procréation. En réalité, elle stipule que toute aide aux nécessiteux doit être supprimée et, au-delà, qu’il existe une légitimité morale de l’inégalité des conditions ou encore une cause naturelle de la pauvreté20.
On songe au tour que pourrait prendre la disputatio si Swift et Sterne découvraient que, dans un premier temps, leur benjamin avait envisagé de promouvoir l’aide aux plus nécessiteux (dont il s’occupait dans sa paroisse, et dont il voyait la montée en puissance dans un pays en plein essor économique doublé d’une poussée démographique); que, très vite, sa théorie est jugée plus qu’hypothétique sur le plan de la science économique… Et, que, comble du comble, le principe malthusien est mis en application dans deux pays que l’on peut considérer comme des dictatures, certes dites «communistes» – Chine, Corée du Nord. Ce que notre économiste libéral n’eut certes pas approuvé.
L’écrivain Charles Dickens se situe dans la lignée de la satire politique et sociale et est amené à critiquer la théorie malthusienne. © Dickens Felloship.
Il appartiendra en tout cas à un certain Charles Dickens (1812-1890), contemporain de Malthus, de reprendre le flambeau du satiriste pour fustiger sa vision du bien-être collectif. C’est notamment le cas dans le fameux conte A Christmas Caroll (1846) où il fait dire à Mister Scroodge:
«Je ne me réjouis pas moi-même à Noël et je n'ai pas les moyens de réjouir les oisifs. Je contribue à faire vivre les établissements dont j'ai parlé: ils coûtent assez cher; et ceux qui sont malheureux doivent y aller. «Beaucoup ne peuvent y aller ; et beaucoup préfèrent mourir. S'ils aiment mieux mourir (…), ils feraient mieux de le faire, et de diminuer le surplus de population.»
D’où la répartie du fantôme:
«Voulez-vous décider quels hommes doivent vivre, quels hommes doivent mourir ? Il se peut qu'aux yeux du Ciel, vous soyez plus inutile et moins apte à vivre que des millions de personnes comme l'enfant de ce pauvre homme. Oh, mon Dieu ! Entendre l'insecte sur la feuille se prononcer sur la trop grande vie de ses frères affamés dans la poussière.» 21