A propos de Prince (Rogers Nelson)
Chronique post-chronique d’un ami musicien
Commentaire du post-hommage de Philippe Astor à Prince Rogers Nelson (1958-2016) à travers deux albums qui révèlent les racines jazz de son œuvre et son éblouissante maîtrise instrumentale.
Philippe Astor, journaliste indépendant, édite un blog passionnant sur l’économie de la musique à l’heure du numérique et de l’IA. © Philippe Astor
Mon ami, musicien et expert de l’économie de la musique Philippe Astor, rend hommage à Prince Rogers Nelson†, plus connu sous le nom de Prince, à travers la mise en ligne d’enregistrements titrés Loring Park Sessions ’77 et N.E.W.S. Je ne les connaissais pas. Il est vrai que le premier n’a pas donné lieu à un album officiel, tandis que le second a été édité en 2003, date à laquelle j’avais à vrai dire décroché de l’écoute des productions du Kid de Minneapolis. Je m’aperçois quand même que leur exposition est un heureux événement.
La révélation de Purple Rain
Mais vous souvient-il, cher Makhno, de la première écoute d’un album de Prince? C’était, si j’ai bonne mémoire, dans un appartement de la rue Anatole-France, à Quillan, où nous allions fréquemment boire du thé parfumé chez notre amie Rina. Et toujours si j’ai bonne mémoire, je me souviens d’avoir éprouvé, à l’écoute de l’introduction du disque/BO du film Purple Rain (1984), des fourmis dans les jambes. De celles que peut provoquer un pur et scintillant moment de rock’n roll. Je voudrais bien oublier, en revanche, cette émission que je devais quelque temps plus tard, consacrer à l’artiste, sur les ondes d’une station locale, Radio Ballade. Il faut bien s’avouer qu’elle avait la fadeur d’un storytelling, malgré l’enthousiasme réel que suscitait chez moi la musique princière et le moment très particulier qui enveloppait cette soirée.
Purple Rain, extrait de l’album au titre éponyme, a révélé une star mondiale, douée d’une très grande virtuosité instrumentale. © Prince Official Website
Très vite, néanmoins, il me vint l’idée d’aller plus loin. Il y eut l’album 1999, puis Around the World in A Day (1985), Parade/Under The Cherry Moon (1986), Sign o’ the Times (1987). Je peux ajouter que j’ai eu la chance d’assister à un concert de la tournée consécutive à la sortie du dernier, au POPB (comme on disait à l’époque), qui restera dans ma mémoire, malgré une acoustique de la salle plutôt mauvaise, comme l’une des plus belles performances scéniques rock-pop auxquelles je n’ai jamais assisté – associée, qui plus est, à un autre de ces moments mémorables avec mes amis exilés à Paris pour les bienfaits du Septième art (une pensée particulière pour Michel Bubola† et Aubert Tsa†), ou par vertige de l’amour (une pensée gaie pour Myriam).
C’est peut-être l’album SOTM, considéré comme son sommet musical, qui se rapproche le plus, par son mix élaboré (complexité mélodique, ruptures tonales et rythmiques…) de jazz, rock, disco, funk, dance, des deux albums ici présentés. Avec ATWIAD et Parade, le registre est plus pop, pas si loin des Beatles, plus psychédélique, et moins effrontément sex and rockn’ roll and drugs. Purple Rain, dans son enveloppe rythm’n blues, rock, funk voire hard-rock, est un déroulé de hits (Lets’Go Crazy, Take Me with U, I Would Die For You), au premier rang desquels Purple Rain et son époustouflant solo de guitare.
Toutes choses bues, ce morceau n’est pas sans m’évoquer le tout aussi légendaire Stairway to Heaven de Led Zeppelin, par son atmosphère, par l’envolée guitaristique qui le caractérise. C’est sans doute ce qui sauve le film, en revanche, plutôt médiocre, très histoire de midinette avec juste un peu de piment sexy (servi aussi par le duo-couple féminin Wendy Melvoin, Lisa Coleman) auquel cette musique est destinée. Je n’ai pas eu l’occasion de voir Under the Cherry Moon, mais il semble que ç’ait été aussi un four commercial.
La tentation d’un parallèle avec Frank Zappa
Quoiqu’il en soit, une chose m’avait saisi l’esprit, à traverser ces albums moirés d’une multiplicité de styles, d’époques de la pop, de sophistication instrumentale et technique, à savoir la parenté avec un autre grand musicien américain, j’ai nommé Frank Zappa (1940-1993). Je m’aperçois du reste, en écrivant ce post, que je ne suis pas le seul à avoir envisagé ce rapprochement1.
L’histoire voulut que le second ait apporté son soutien au premier dans l’affaire du Parents Music Resource Center, c’est-à-dire un groupe bien-pensant mené par la femme du futur vice-président Al Gore et la femme du secrétaire du président en exercice Ronald Reagan, en campagne contre des paroles à contenu subversif pour les enfants, incluses celles exprimant trop ouvertement l’acte sexuel. Mis en cause pour son titre Darking Nikky, Prince Rogers trouva en Frank un allié, déclarant devant le Congrès (1985) que «La masturbation n’est pas illégale. Si sa pratique ne relève pas d’un délit, pourquoi une chanson qui y ferait allusion serait-elle illégale?» et, plus généralement que «Aucune preuve scientifique concluante n’a jamais été apportée qui justifierait la plainte selon laquelle l’exposition à un type de musique quel qu’il soit puisse pousser l’auditeur à commettre un crime ou à vendre son âme au diable».
C’est que Zappa lui-même ne s’était jamais privé de faire, en termes les plus crus, allusion à la vie sexuelle des américains (qu’il soient conservateurs, Peace and Love, ou rockers délurés en tournée), même s’il a une distance personnelle au sujet, une position moins extravertie (pour ne pas dire moins exhibitionniste, fétichiste) et moins révérencieuse. Si d’aucuns s’essayent, depuis de nombreuses années, à argumenter le rapprochement, via les biographies (rencontres possibles), de possibles résonances musicales, on peut tout au moins le faire sur le plan artistique, par: une même capacité à absorber tous les styles populaires; une excellence de la pratique instrumentale; une exigence dans le contrôle de la production, donc à se libérer des maisons de disques autant que des musiciens qui les accompagnent; une volonté de faire œuvre continue; une productivité étourdissante; un son très urbain.
Il se dit que Zappa a pu déclarer, un jour, que Prince était quelqu’un dont il appréciait le sérieux et l’exigence. Pour autant, même les petites redécouvertes par l’ami Makhno, en dépit de leur tonalité jazz, jazz-funk, free-jazz, de leur refus d’être une musique à danser, et de la belle virtuosité instrumentale, ne me semblent pas proches de l’univers zappaien. Je pense plutôt ici à Miles Davis, James Brown, Return to Forever, Brand X, ou encore, dans la structure de N.E.W.S, aux opus de Keith Jarret, sans oublier Jimi Hendrix pour le toucher de guitare.
En tout état de cause, je souscris à l’idée qu’on peut les écouter comme une trame sous-jacente, une racine de toute la création du Kid de Minneapolis. Ils me confirment que celui-ci avait à dire mieux et bien plus de choses qu’un certain Michael Jackson — puisqu’il advint que la critique de l’industrie musicale s’avisa d’en faire des rivaux – et que nombre d’artistes de la scène internationale.