Le 24 août 1572, plusieurs milliers de protestants sont exécutés à Paris. Avec la province, ce sont entre 15 000 et 30 000 dissidents par rapport au rite religieux dominant qui sont envoyés ad patres sans clémence. Il faudra attendre une loi sur la laïcité de 1905 pour que la liberté de culte et l’égalité des cultes devant la loi soient établies.
Tandis que je passais, récemment, devant Saint-Germain-l’Auxerrois, à deux pas du Louvre, je songeais que c’est là que, le 25 août 1944, les cloches célébraient, premières, à la volée, la libération de Paris, glorieuse journée pour la France. Mais aussi que, quelque 372 ans auparavant, à un jour près, elles appelaient au massacre de la Saint-Barthélémy, journée dont on peut inversement considérer qu’elle a défait la France.
L’assassinat, en deux temps, de l’amiral Gaspard de Coligny, chef militaire et protestant, donne le coup d’envoi du massacre de la Saint-Barthélémy à Paris. Dessin de Alexandre-Georges Roux; © Paris Musées-Musée Carnavalet/Histoire de Paris
Un génocide dont on ne connaît pas le mot
C’était donc il y a 450 ans. Génocide ? On n’est pas si loin si l’on considère qu’on définit le mot par «crime contre l'humanité tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ; sont qualifiés de génocide les atteintes volontaires à la vie, à l'intégrité physique ou psychique, la soumission à des conditions d'existence mettant en péril la vie du groupe, les entraves aux naissances et les transferts forcés d'enfants qui visent à un tel but»1.
À l’époque, bien sûr, il n’aurait pu être qualifié ainsi, et certains historiens soulignent que l’affaire n’émut pas plus que cela2. Reste que, selon les estimations, plusieurs milliers de fidèles de ce qu’on appellera encore, sous le règne de Louis XIV, et avec quelque mépris, la «religion prétendue réformée» (3 à 4000 à Paris; 15 à 30 000 pour l’ensemble du pays) furent mis à mort dans des conditions épouvantables.
Pour autant, les partisans les plus acharnés de «la fille aînée de l’Église» n’entendaient pas renoncer à leurs exactions. Cinquante plus tard ou presque (14 mai 1610), rue de la Ferronnerie, au cœur de l’actuel quartier des Halles, un certain François Ravaillac assassine le roi Henri IV (1553-1610), déjà héros malheureux du précédent épisode. L’assassin est quelque peu fanatisé, à l’instar de son prédécesseur immédiat en régicide Jacques Clément (assassinat d’Henri III le 1er août 1559) et le Parlement de Paris s’en tient à la thèse de l’acte isolé. Mais l’hypothèse qu’il ait agi sur ordre, qu’il ait été manipulé, n’est pas écartée. Énigme toujours pendante. Mais n’anticipons pas.
L’épilogue cruel d’une cérémonie nuptiale
De cette funeste journée du 24 août 1572, le remarquable (selon moi) film La reine Margot (Patrice Chéreau, 1994) inspiré par le non moins célèbre roman d’Alexandre Dumas (1802-1870) paru entre 1844 et 1845, nous livre une vision dramatique, voire tragique, non sans quelque exagération (on pense en particulier à Catherine de Médicis ou à la mort de Charles IX). Il restitue néanmoins l’atmosphère délétère qui empoisonne le règne des derniers Valois. Puanteurs physiques (on ne se lave guère alors et les palais royaux ne sont pas des plus sains, non plus que la cité parisienne d’ailleurs); puanteurs plus morales (sexualité débridée, du moins très libre; assassinat considéré comme un des beaux-arts; trahisons et haines en tous genres… sans oublier le commerce de la vocation religieuse).
L’affaire en révèle la crudité: le massacre intervient dans le cadre d’une cérémonie de noces; celles, célébrées une semaine auparavant entre le roi Henri de Navarre et Marguerite de Valois (1553-1615), fille de Catherine de Médicis (1519-1589). Il s’agit d’un mariage arrangé, comme de coutume – à laquelle la légendaire Reine Margot doit se soumettre de force, au sens fort — ses frères et sa mère n’hésitant pas à la violenter pour qu’elle consente — et qui plus est entre «cousins». C’est encore une union maritale dont l’objectif, tracé par Catherine, n’était autre que de pacifier les relations entre catholiques et protestants pour, parallèlement, asseoir l’autorité royale.
Les noces d’Henri IV (Daniel Auteuil) et de Marguerite de Valois (Isabelle Adjani) dans le film de Patrice Chéreau d’après le roman d’Alexandre Dumas La Reine Margot; 1994. © D.R
L’attitude des rois Charles IX (1550-1574) et Henri III en témoigne. Le 22 août, voilà le premier auprès de l’amiral Gaspard II de Coligny (1519-1572), victime d’un attentat, et auquel il promet de faire justice; le lendemain au soir, il accepte, probablement sous pression de sa mère, de ses conseillers, de faire exécuter tous les chefs protestants encore présents à Paris, à l’exception d’Henri de Navarre et du Prince de Condé. Henri III, protagoniste du conseil funeste, n’aime guère son beau-frère, mais il finira, contraint et forcé, par l’accepter comme successeur au trône.
En tout état de cause, retournement cruel de situation: la crainte d’un soulèvement se transforme en effroi face à la sanglante réalité d’une terrible émeute. Les appels du roi Charles à cesser les exactions, dès le 24 août, resteront vains, notamment à Paris où la populace s’engage avec frénésie dans l’hallali. Effet de la chaleur estivale qui agite les sens ? D’une colère née du contraste entre une nouvelle crise frumentaire et les fastes de la cérémonie royale? À l’évidence, et comme le confirmeront les événements ultérieurs, une partie de la population au moins est subjuguée par les extrémistes du parti catholique. Il faudra aussi recourir à la force lorsque, devenus alliés, Henri III et Henri IV, souhaiteront re-soumettre la capitale au pouvoir royal (1588, puis 1591).
L’épisode tragique des Guerres de religion
Qu’est-ce qui pousse, néanmoins, Charles IX, sa mère, leurs conseillers à un acte aussi radical? Il y a bien un prétexte immédiat: celui de l’obstination du Maréchal de Coligny, pourtant respecté et très proche du roi, à vouloir engager le fer contre Philippe II d’Espagne (par ailleurs beau-frère de Charles IX) via un soutien militaire aux révoltés, notamment protestants, de ses possessions en actuelle Hollande.
Le contexte est celui d’une situation politique très délicate, pour une monarchie finalement mal assise, dont le pouvoir est toujours contesté par les grandes familles de l’aristocratie et du clergé (du fait des règles successorales en vigueur). De grandes familles que l’on retrouve naturellement affiliées à l’orthodoxie (Lorraine-Guise, baron de Retz) comme à l’hétérodoxie (Bourbon, Condé, Caumont La Force, Châtillon-Coligny) et en concurrence sinon pour le trône, du moins pour l’exercice du pouvoir, les récompenses et les honneurs, les charges officielles3.
Le double mouvement de la fronde anti-monarque et de la course aux gratifications se durcit d’autant que le pouvoir royal entend s’imposer de manière absolutiste, y compris aux dépens de l’Église, ce qui sous-entend que la religion romaine y soit religion d’État. L’histoire retiendra que les successeurs de Henri II (1519-1559) ne furent pas des plus brillants tenants du trône. Question de jeunesse. Mais ils n’étaient sans doute pas insensibles aux tentatives avortées des protestants de mettre la main sur le roi et époux de leur mère: conjuration d’Amboise (1560).
L’argument religieux4, origine d’un conflit qui émerge à partir des années 1540, vient compliquer le problème, même si la rouée Catherine de Médicis sait jouer du «diviser pour mieux régner». Ainsi de son scénario du mariage, décidé in fine en faveur du roi de Navarre, après la recherche de divers autres partis, et ce, nonobstant les réticences de la mère de celui-ci, la calviniste Jeanne d’Albret (1528-1572), et celles déjà indiquées de Marguerite de Valois. À vrai dire, l’union était programmée par la Paix de Saint-Germain-en-Laye (1570), Charles IX nourrissait une certaine admiration pour son cousin et, en réalité, la reine mère ne doutait pas que son beau-fils finirait bien par se convertir.
Jugera-t-on que l’on est quelque part du côté du cynisme, ou au contraire de l’impuissance? Il fallait à l’évidence louvoyer entre les trois grandes factions qui souhaitent en imposer aux jeunes souverains – parti catholique dur; tendance Montmorency-Coligny plus modérée (catholiques/protestants); lignée des Bourbons et branche Condé (protestants). Il fallait pouvoir leur opposer la légitimité dynastique – Henri IV est le recours à l’absence d’hériter mâle des enfants d’Henri II – et la nécessaire unité du royaume.
Au lendemain du massacre, les deux chefs du parti protestant, Henri et Condé, doivent se convertir au dogme dominant. D’autre part, la cause réformée a perdu nombre de ses meilleurs gentilshommes. Mais l’événement ne met pas fin aux guerres civiles et aux mécontentement des plus acharnés des deux confessions. Il finit par se retourner contre le dernier des Valois, Henri III, que la ligue catholique se voit bien détrôner; ce tandis que, dans le sud du pays, un renouveau protestant s’organise sous la forme d’un contre État indépendant, séparatiste à la fois sur le plan politique (il a quelque chose de républicain) et religieux5.
Parallèlement, l’union maritale entre la belle Marguerite et le bon Henri vire très vite au fiasco – même s’ils sauront se montrer alliés fidèles. Une certaine ironie de l’histoire veut que leur mariage (certes plus consommé depuis beau temps) soit officiellement annulé en 1599 pour permettre au roi de France d’épouser une certaine Marie de Médicis (1575-1642). En revanche, leçon bien apprise, Henri s’est reconverti au catholicisme — qu’il avait abjuré après sa fuite de captivité post Saint-Barthélémy de deux ans – ce qui le rend plus légitime à promulguer le célèbre Édit de Nantes (13 avril 1598).
Le temple de l’Oratoire du Louvre, haut-lieu du culte protestant à Paris. L’Édit de Nantes permet aux coréligionnaires de disposer de lieux de cultes ainsi que de place-fortes militaires, en nombre restreint toutefois. © D.R
La tolérance monarchique de l’Édit de Nantes
Titré «Édit de Nantes en faveur de ceux de la religion prétendue réformée», le texte peut être considéré comme essentiel sur le principe de la tolérance et sur le fait que, pour la première fois en Europe, un monarque admet que certains de ses sujets n’aient pas la même foi que lui.
Une perspective qui agacera fortement le pape Clément VIII. Mais, celui-ci n’est pas le seul à en être mécontent, témoin l’assassinat précité du roi en 1610. Le monarque rappelle qu’ont été prises en compte «les plaintes (…) de ce que l'exercice de la religion catholique n'était pas universellement rétabli comme il est porté par les édits ci-devant faits pour la pacification des troubles à l'occasion de la religion. Comme aussi les supplications et remontrances qui nous ont été faites par nos sujets de la religion prétendue réformée, tant sur l'inexécution de ce qui leur est accordé par ces édits que sur ce qu'ils désireraient y être ajouté pour l'exercice de leur dite religion, la liberté de leurs consciences, et la sûreté de leurs personnes et fortunes»6.
S’il n’est plus religion d’État, le catholicisme est néanmoins rétabli dans sa puissance politique et sociale (culte, biens ecclésiastiques, adhésion royale) tandis que l’hétérodoxie hérite seulement de privilèges:
* «la liberté de conscience»;
* «l'égalité civique et l'admission aux offices et charges publiques, des chambres mi-parties (tribunaux moitié catholiques-moitié protestants), le droit de tenir consistoires et synodes et, à titre de garantie, pour une durée de huit ans»;
* «une centaine de places de sûreté aux frais du roi, dotées chacune d'un gouverneur et d'une garnison protestants», c’est-à-dire aussi la reconnaissance du «parti protestant en tant qu'organisation militaire».
Considérés comme moins avantageux, en pratique, que des textes antérieurs, ces droits seront néanmoins effectivement mis en pratique sous l’œil scrupuleux du roi7. Cependant, la position d’Henri, quoique très pragmatique, sert plus une ambition d’absolutisme politique que l’esprit du protestantisme8.
La trahison des petit-fils: Louis XIV et épouse Françoise d’Aubigné
L’école républicaine, bonne fille de France et du jacobinisme, devait habituer les Français à apprécier au titre des grandes figures qui ont fait la France, assuré aussi la continuité de son destin, celui qu’on appelait le «bon roi Henri» et celui qu’on appelait «roi Soleil» (1638-1715). Petit-fils du premier, le second a connu, lui aussi, son épreuve d’accès au pouvoir durant l’épisode de la Fronde (1649-1653), avec obligation de s’exiler, un temps court, de Paris. La filiation politique se lit, bien sûr, dans la consolidation de l’État autour de son roi et la mise à l’écart d’une aristocratie aussi remuante que brouillonne.
Est-ce justement parce qu’il a si bien réussi à parachever l’entreprise que Louis XIV n’a plus besoin du compromis religieux ? Toujours est-il que, le 18 octobre 1685, l’Édit de Fontainebleau stipule que «Nous voyons présentement avec la juste reconnaissance que nous devons à Dieu, que nos soins ont eu la fin que nous nous sommes proposée, puisque la meilleure et la plus grande partie de nos sujets de la Religion Prétendue Réformée ont embrassé la Catholique. Et d'autant qu'au moyen de ce, l'exécution de l'édit de Nantes, et de tout ce qui a été ordonné en faveur de ladite R.P.R., demeure inutile, nous avons jugé que nous ne pouvions rien faire de mieux pour effacer entièrement la mémoire des troubles, de la confusion et maux que le progrès de cette fausse Religion a causé dans notre royaume, et qui ont donné lieu audit édit, et à tant d'autres déclarations et édits qui l'ont précédé, ou ont été faits en conséquence, que de révoquer entièrement ledit édit de Nantes, et les articles particuliers qui ont été accordés ensuite de celui-ci, et tout ce qui a été fait depuis en faveur de ladite Religion.»9
Il y a évidemment un enjeu plus général. L’absolutisme royal doit être aussi être accepté par les autorités religieuses et le «gallicanisme» ne se conçoit que dans une révérence à la religion romaine matinée de limitation du pouvoir de la papauté (Déclaration des quatre articles, 1662; affaire de la Régale, 1673). D’où également la mise au pas des jansénistes, dont la doctrine inspirée de Saint-Augustin, la pratique rigoureuse du message chrétien, n’est pas sans résonance avec le protestantisme.
Françoise d’Aubigné, Marquise de Maintenon, a longtemps été suspectée d’avoir poussé le roi Louis XIV à la révocation de l’Édit de Nantes. D’obédience calviniste, tout comme son grand-père le poète militant Agrippa d’Aubigné, elle embrassa ensuite la religion catholique avec dévotion. Portait de Piere Mignard (1694). © Domaine du château de Versailles.
Bien qu’il n’ait pas été, longtemps, un pratiquant modèle, la foi du roi était catholique. Elle se raffermira, à partir de l’intronisation (confirmée par un mariage secret, 1683) de la Marquise de Maintenon, aussi connue pour être dévote, comme épouse et conseillère de l’illustre monarque. L’idée qu’elle ait poussé à la révocation de l’Édit fait débat, même si elle souhaitait voir aboutir la politique de conversion qui la précéda. Nouvelle ruse de l’Histoire. La nouvelle reine de fait n’était rien moins que la petite-fille de Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630)10, homme politique et poète militant de la cause calviniste, aux relations plus que difficiles, il est vrai, avec Henri IV et encore plus avec la Reine Margot.
La décision, loin encore une fois d’assurer l’unité du Royaume, sera lourde de nouvelles tragédies. Elle se révèlera particulièrement inappropriée à doubler la puissance politique de la France d’une puissance économique, du fait de l’exode d’une élite dont Max Weber a pu montrer l’importance pour le développement du capitalisme11.
La loi de 1905 établit le droit de culte et l’égalité des religions
C’est avec la promulgation de la fameuse loi dite «De séparation de l’Église et de l’État» du 9 décembre 190512, aussi connue pour être le manifeste de la laïcité à la française, qu’est enfin reconnue à la communauté protestante (puisqu’il ne s’agit ici que d’elle) le plein droit d’exprimer sa foi et à ne plus être exposée, avec risques et périls, au bon vouloir d’un pouvoir où la personne privée se confond avec la personne publique (qu’il soit donc, monarchique ou aristocratique).
Fac-similé du Journal officiel de la République française du 11 décembre 1905 qui rend officielle la loi dite de «Séparation de l’Église et de l’État». Cette loi fait aujourd’hui partie du «bloc constitutionnel». © Légifrance.
Le texte, déclinant les principes de Liberté, Égalité, Fraternité (compréhension particulière pour les moments du deuil) que la République porte à son fronton, s’ouvre sur l’article suivant:
«La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après.» Corollaire (article 2): « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.»
Mais on lit encore, au Titre 5 concernant la police des cultes:
* «Article 25: “Les réunions pour la célébration d’un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques”;
* Article 26 : “Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte”;
* Article 27: “Sont punis d’une amende de seize francs (16 fr. ) à deux cents francs |200 fr.) et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voie de fait, violence ou menace contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte”;
* Article 28. “Il est Interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions”.
* Article 32 : “Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par les troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices”.»
Autrement dit, l’exercice et les rites cultuels sont protégés.
Entre temps, il est vrai, la France, sa population fut-elle à majorité catholique, avait bien changé, puisqu’il était notamment advenu une alternative politique à la monarchie, une liberté d’interroger la question de Dieu et de ses églises. Parallèlement avait opéré le remplacement des ligues politico-religieuses par des mouvements puis partis politiques. Une tolérance plus grande s’était ainsi affirmée sous des régimes monarchistes — Louis XVI (1754-1792) sous la forme d’une tolérance; Louis-Philippe (1773-1850) — sous forme de la confiance, témoin le rôle de François Guizot (1787-1874)13.
Faute de disposer d’aussi éminents hérauts que d’Aubigné ou encore Théodore de Bèze (1519-1605), les protestants ont plutôt bien accueilli la Révolution (liberté de conscience reconnue par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme; Constitution de l’an I mise en suspens par la dictature jacobine et le culte de l’Être suprême cher à Robespierre) et s’accommodent, tant bien que mal, des régimes impériaux (le Concordat de 1802 élargit certes les droits de culte protestant, mais c’est qu’il encadre aussi fortement l’expression religieuse; le Second Empire marque une préférence pour le catholicisme).
L’avènement de la IIIe République «républicaine», c’est-à-dire consituée de radicaux, socialistes (1876), autorisant plus grande liberté d’expression, un accès élargi à la gestion de la chose publique, et menant une action très volontaire en matière d’instruction publique, permet à la communauté de faire valoir ses compétences et de retrouver de l’influence. Il n’est ainsi pas étonnant que, parmi les acteurs clés du projet, de sa conception, sa mise en forme et son adoption, on trouve notamment, aux côtés du «petit père Combes» (Émile Combes, 1835-1921) et d’Aristide Briand (1862-1932), plus connus, le philosophe et pédagogue d’obédience protestante Ferdinand Buisson (1841-1942).
Il va de soi que l’adoption de la loi, tout comme d’ailleurs l’Affaire Dreyfus (1894-1986) par laquelle s’explique singulièrement le radicalisme du texte de 1905, devait donner à entendre les traditionnelles antiennes de l’Extrême droite (alors monarchiste) et de l’autorité cléricale – dénonçant la République comme complot des juifs, des françs-maçons et des protestants. La meilleure preuve du mal-fondé de cette argumentation est (hélas ?) que ces derniers ne furent pas, a priori, opposés au régime de l’État français, même si les représentants de leurs églises devaient s’en démarquer très rapidement, à cause notamment des dispositions criminelles prises à l’encontre de la communauté juive.
Ces constats ne doivent certes pas faire oublier que durant les périodes précitées, la majorité de la population était sinon d’obédience, du moins de culture catholique sans pour autant adhérer à la sempiternelle aigreur des ligueurs. A l’amont même de la funeste journée du 24 août, des personnalités d’autorité de confession romaine – tels Michel de l’Hôpital (1505/1506-1573) –avaient prôné et agi en faveur de la tolérance. À l’aube de la loi de 1905, l’élite catholique était elle-même partagée entre ultras et libéraux (tels Jules Ferry, 1832-1893). Et une majorité de fidèles du culte majoritaire avait reconnu la légitimité du suffrage universel.14