La génération punk cultive, à travers notamment un retour à des sonorités plus âpres, directes, un refus de la science instrumentale, la rupture avec ses jeunes ainés. ©
L’année 1977 voit l’irruption sur la scène britannique et rapidement internationale de la mouvance Punk. Par ses signes, les déclarations enflammées des nouvelles figures de proue (Sex Pistols, Clash) sur leur lassitude devant la débauche de moyens et la starisation de leurs ainés, et plus durablement par une nouvelle couleur sonore, elle marque une rupture générationnelle dans l’univers de la musique populaire. Cette rupture n’est pas sans relation avec la crise que connaît l’Empire en démembrement et l’Angleterre où le modèle de l’État-Providence, assis sur un consensus politique, s’effrite, témoin les dissensions entre syndicats et gouvernement travailliste, et l’annonce de l’ère néo-libérale tatchérienne (où le Brexit trouve ses racines) assortie de très durs conflits et d’une montée des inégalités1.
Parallèlement, les groupes dinosaures sont dans la phase déclinante, soit par désaccords entre leurs membres, soit par une difficulté à pousser plus loin l’expérience ou à se renouveler. Pour autant, la sphère «sociale» de la British Invasion s’élargit, avec l’exploitation maximale du couple musique/mode, corrélative à la mise en exergue de nouvelles problématiques sociétales (discriminations diverses; approfondissement de l’individualisme), et soutenue par des médias de masse tout-puissants.
Années 1977-1978
• Christiane F (1977-1981), musique du film de Uli Edel
> † David Bowie
- Référence: Christiane F; RCA
La musique du film Christiane F est une sorte de best of de la trilogie berlinoise de David Bowie. © RCA
Comment faire pour éviter un «Best of» et ne pas négliger l’hymne Heroes? Ma solution: la synthèse des albums de la trilogie berlinoise de Bowie, avec les titres qui me parlent le plus, regroupée dans la musique d’un film. Il y a, bien sûr, l’émouvante histoire des deux «heroes», dans l’ombre immédiate du mur de Berlin; il y a, justement, l’atmosphère trouble, encore empreinte d’expressionnisme noir, d’une ville châtiée par l’Histoire; il y a l’esquisse d’un Berlin Underground où, n’en déplaise aux «bobos», la vie a quelque chose d’une dérive, et la drogue une réalité cauchemardesque. Il y a, encore, un livre/film d’illusions de jeunesse (la preuve que nous étions peu au fait de l’économie du spectacle).
Il y a même, je me l’autorise, un clin d’œil [à un groupe rock d’amis d’enfance: Philippe/Bruno/Alex/Luigi], le titre Warszawa. Cela dit, je peux recommander aussi le LP Best of Bowie (2002) ou plus encore l’aussi émouvant que brillant testament signé Blackstar (2016).
† David Bowie (chant, claviers, guitares, saxophone, tambourin…), Brian Eno (synthétiseurs), Carlos Alomar (guitare), Robert Fripp (guitare), Tony Visconti (percussions), Denis Davis (batterie, percussions), Antonia Maas (chœurs)…
Source: Christiane F (https://fr.wikipedia.org/wiki/Christiane_F._(album)
Titres Playlist: Heroes, Warszawa + Dollar Days (Blackstar)
Fleetwood Mac nous invite à l’écoute des «rumeurs» enchanteresses de l’arrière-saison du flower power. © Warner Bross
• Rumours (1977)
> Fleetwood Mac
- Référence: Rumours; Warner Bross
L’album de référence de la formation anglo (Mick Fleetwood, Christine McVie) américaine (Stevie Nicks, Lindsey Buckingham). Imaginez que vous vous trouvez dans l’arrière-saison du rêve californien (flower-power, jeunesse), avec ses flamboiements de sons, de couleurs, de parfums, où l’on sent à peine que l’enregistrement se fit dans des conditions difficiles — question notamment de désaccords sentimentaux. Un florilège de chansons «tubes», directes et mélodiques, servi par les voix enchanteresses et l’allure bohème du duo Mac Vie-Nicks.
Constaté en «live», un soir de juin 1980, à Paris (Olympia), [au détour d’une tournée musicale avec l’ami Gary] avec étape Bordeaux pour voir un certain † Bob Marley, dont on peut rappeler qu’il est né… en Grande-Bretagne, puisque la Jamaïque ne devient indépendante qu’en 1962.
Stevie Nicks (chant), Christine Mc Vie (chant), Lindsay Buckingham (guitare), Mick Fleetwood (batterie).
* Source: Fleetwood Mac, encyclopédie Britannica ((https://www.britannica.com/topic/Fleetwood-Mac); Rumours (https://fr.wikipedia.org/wiki/Rumours)
Titres Playlist: Go your own Way, You make Loving fun
• Even in the Quietest Moment (1977)
> Supertramp
— Référence: Even in the Quietest Moment; A&M
Le final de cet album, très équilibré, empruntant à tous les héritages pop-rock-folk-jazz-classique, est un hommage à Winston Churchill. ©A&M
Lorsque je pense à cet album, à sa pochette (le piano sous la neige), je ne peux oublier le souvenir d’une virée [avec Gérard/Grand Fun] du côté du Pas-de-la-Case où, à l’époque, le disque rock se trouvait plus facilement et à moindre prix qu’en France. Je pense, encore, à cette année 1979 où, [grâce à l’ami Éric], je découvrais le groupe, en concert, à Dijon. C’était pour la tournée Breakfast in America qui, nonobstant de beaux moments de concert (sur des classiques, justement), annonçait un ralliement au standard variété et refaisait surgir une tendance ancienne du groupe à la mièvrerie.
EITQM n’y échappe pas, parfois (c’est une question de voix, je crois), mais la partition est plutôt étincelante en même temps qu’équilibrée (voix/instruments; durée des hits…), invitant à une promenade douce sur arrière-plan acoustique très soigné (Even in the Quietest Moment, Give a little Bit), à se laisser prendre à un agréable mix pop/jazz (From Now On, Lover Boy), à s’émouvoir à l’écoute d’un mouvement symphonique introduit par la voix de Winston Churchill énonçant son célèbre «We shall never surrender» et où l’on entend émerger, voilée par le vent, la mélodie du classique Jerusalem (Sir Hubert Parry).
Rick Davies (claviers, chant); Roger Hodgson (guitare, claviers, chant); Dougie Thomson (basse); John Helliwell (saxophone, clarinette, chœurs); Bob Siebenberg (batterie, percussion)
Source: Even in the Quietest Moments, wikipedia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Even_in_the_Quietest_Moments%E2%80%A6
Titres Playlist: Even in the Quietest Moments, Fool’s Ouverture
Les bases du punk sont posées: musique (âpreté sonore, rythmique heurtée, raideur vocale, textes revendicatifs) et allure vestimentaire (débraillé, mauvais goût calculé). © CBS Records
• The Clash (1977)
> The Clash
- Référence: The Clash; CBS Records
Me voici dans une modeste salle étudiante de la rue du Taur à Toulouse, en cet automne 1979. Sur scène, des condisciples de l’université, qui ont créé leur propre groupe: Les ablettes masquées. Le concert s’ouvre par le London’s Burning («c’est du brutal», comme on dit dans un film cher à Michel Audiard). L’album marque bien une «déchirure» (qu’explicite la pochette) dans la production de la British Invasion, dans l’exposé de la grisaille anglaise, d’une crise sociale dure, tant par son âpreté sonore, sa rythmique heurtée, sa raideur vocale, que par ses textes revendicatifs. Je pense en particulier aux titres: London’s Burning, I’m so bored with the USA, White Riot…
Le groupe, qui revendiquera toujours son appartenance à la gauche, évoluera ensuite en intégrant un héritage que les punks n’avaient pas négligé (Reggae, Ska, Rock’n Roll), et je ré-entends des titres comme London Calling, I’m lost in a Supermarket, The Magnficent Seven, Should I stay or should I go. Tandis que j’écris ces lignes, j’apprends qu’on peut les retrouver sur une compilation live titrée From Here to Eternity (1999; concerts des années 1978-1982).
Quant aux «poissons» de Fumel, emmenés par Philippe Fournier (basse et chant), Gilles-Robert Souillès (manager), ils signeront notamment une reprise réussie de Nougaro (Ah tu verras), ainsi que le très pop Jackie s’en fout, dont le propos contestataire est quelque peu malmené par une production très aseptisante.
† Joe Strummer (chant, guitare rythmique); Mick Jone (guitare, chant); Paul Simonon (guitare basse); Terry Chimes (batterie)
Source: The Clash groupe (https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Clash); The Clash album (https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Clash_(album) ; From Here to Eternity (https://fr.wikipedia.org/wiki/From_Here_to_Eternity:_Live); (https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Ablettes)
Titres Playlist: London’s Burning, White Riot + The Magnificent Seven (Sandinista)
• Never Mind the Bollocks, Here's the Sex Pistols (1977)
> Sex Pistols
— Référence: Never Mind the Bollocks, Here's the Sex Pistols; Virgin Records; Warner Bros; Barclay
Une pochette simpliste, radicale, aux couleurs flashy: la recette révolutionnaire des Sex Pistols. Elle sera soutenue par la pochette du single God Save The Queen, type affiche lacérée, montrant la Reine Elisabeth avec le visage barré par le nom du groupe et le titre de l’album, et où apparaît l’icône de l’épingle à nourrice. © Virgin Records; Warner Bros; Barclay
L’album des Sex Pistols est sorti avant celui des Clash, qui s’en sont paraît-il inspirés. Nul ne sait alors que c’est un magnifique coup de marketing, savamment orchestré par le couple Malcom Mac Laren/Vivienne Westwood avec l’appui d’un certain Richard Branson. Et c’est une révolution qui semble se réveiller. Énergie inversement proportionnelle à la longueur des morceaux; alacrité musicale maximale (du rock’n roll avec un son de garage); scansion quasi militaire; radicalité contestataire ou ironie mordante à l’égard des emblèmes et de la société établie; rupture des codes vestimentaires, inclus ceux des hippies; mise en scène du mauvais goût.
Qui peut oublier le leitmotiv culte «No future» au cœur du très provocateur God Save the Queen, dont l’effet se renforce par une pochette du single arborant un portrait défiguré d’Elisabeth II, ainsi que par une tentative d’interpréter le titre, en bateau sur la Tamise, le jour même du jubilé de la Reine ? Un autre titre frise l’appel à l’émeute, Anarchy in the UK, tandis que EMI s’attaque sans ambages à la célèbre maison de production discographique. En fait, le disque et le groupe passeront, contrairement à The Clash, comme une étoile «Nova», même si on peut estimer que le projet a rendu un fier service à l’industrie musicale et à celle de la mode.
Dans l’album (habilement promotionnel) associé au film The Great Rock,’n Rolle Swindle («La grande escroquerie du rock’n roll»), l’esprit iconoclaste du quatuor est encore plus assumé, témoin entre autres: la reprise du My Way de Claude François/Franck Sinatra (passée au micro-ondes); la version très cabaret français de Anarchy in the UK; les reprises outrancières des standards rocks Johnny B Goode, Common’Everybody, ou encore du Substitute des Who; sans oublier le GSTQ en version symphonique, parodie évidente de la pompe cérémoniale.
Johnny Rotten (chant); Steve Jones (guitare, basse); Paul Cook (batterie); † Sid Vicious, Glen Matlock (basse)
Source: Sex Pistols (https://en.wikipedia.org/wiki/Sex_Pistols); Never Mind the Bollocks (https://fr.wikipedia.org/wiki/Never_Mind_the_Bollocks,_Here%27s_the_Sex_Pistols) ; The Great Rock,’Roll Swindle (https://en.wikipedia.org/wiki/The_Great_Rock_%27n%27_Roll_Swindle_(album)
Titres Playlist: God Save the Queen, Anarchy in the UK+ May Way (Great Rock’n Roll Swindle)
Joy Division est considéré comme un influenceur majeur de la scène britannique des années 1980, toutes tendances confondues (New Wawe, Cold Wave, Post-Punk, Gothique…), par sa musique, le design dépouillé, sombre, des pochettes de ses albums. © Factory Records
• Substance (1977–1980)
> Joy Division
-Réference: Substance; Factory Records (1988)
Si ma mémoire m’est fidèle, c’est un certain directeur de la Musique et de la Danse au ministère de la Culture, également connu comme énarque, psychanalyste et écrivain, qui fit remarquer, dans son livre intitulé «La Comédie de la culture» qu’on pouvait aussi avoir une perception sensible (esthétique) de la musique non savante. Et d’évoquer, en l’occurrence, l’émotion qu’il éprouvait à l’écoute de Joy Division2. Je n’oublie pas, non plus, que je dois la découverte de cet album et, plus généralement, de la mouvance New Wave, à un jeune quatuor de musiciens quillanais répondant au nom de Kino (Sylvain/Sharp, Yves/Le Rich, mention pour † Yves/Persoul, Philippe/Bub).
Quoiqu’il en soit «la Division de la Joie» formée à Manchester en 1976 autour de Bernard Albrecht , Peter Hook et Terry Mason, se fait un nom par sa légende noire. Une identité qui fait scandale, puisque inspirée par une expression nazie en usage dans les camps de concentration… La personnalité trouble du chanteur Ian Curtis3 (1956-1980), autre jeune héros du rock qui meurt jeune … Et, bien sûr, une musique qui s’inspire du chaos punk, de ses motifs courts et claquants, qu’elle réinscrit cependant dans la veine crépusculaire du Velvet Underground et dans la tradition froide de l’électro à la Kraftwerk (synthétiseurs, boites à rythme).
La violence saturée à la fois de mélancolie et de mécanique qui en résulte aura une influence majeure sur la scène dite «Cold Wave» des années 1980. L’album Substance est une compilation des titres composés et joués entre 1977 et 1980, ainsi que des inédits pourtant reconnus comme remarquables: Transmission, Love Will Tear Us Apart , Atmosphere.
† Ian Curtis (chant); Bernard Sumner (guitare, synthétiseur); Peter Hook (basse); Stephen Morris (batterie)
Source: Joy Division/New Order: Encyclopaedia Britannica-Jon Savage (https://www.britannica.com/topic/Factory-Records-Manchesters-24-Hour-Party-People-1688352); Joy Division (https://fr.wikipedia.org/wiki/Joy_Division); Substance (https://fr.wikipedia.org/wiki/Substance_(album_de_Joy_Division)
Titres Playlist: She losts Control , Love will tears Us apart
• Wuthering Heights (1978)
> Kate Bush
- Référence: The Kick Inside; EMI
A l’image d’Emily Brontë, Kate Bush a du se faire une place d’artiste (compostrice, chanteuse, instrumentiste) dans un univers plutôt masculin. Pochette du single Wuthering Heights. © EMI
Wuthering Heights, inspiré du roman éponyme d'Emily Brontë, avec laquelle elle partage aussi une précocité créatrice, est caractéristique du style orné et romantique de la chanteuse, née Catherine Bush, le 30 juillet 1958 à Bexleyheath (Kent, Angleterre). En dépit de l’évolution vers la scène anglaise d’alors vers le Punk (je songe plutôt à une héritière de David Bowie et Freddy Mercury), la chanson devient un succès inattendu dans le pays et ailleurs.
Son style imaginatif, empreint de sensualité, de luxuriance, porté par une voix étonnante (comme une incarnation de l’Alice de Lewis Carroll?) en fait une pop star — alors exception dans un univers plutôt mâle. Il faut dire que son lancement de carrière doit beaucoup à un certain David Gilmour, guitariste des Pink-Floyd. Cela dit, je m’en tiens à ce titre.
Kate Bush (chant, chœurs, piano)
* Source: Kate Bush, encyclopédie Britannica, John M. Cunningham — https://www.britannica.com/biography/Kate-Bush
Titres Playlist: Wuthering Heights